Alerte : Procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) et COVID : Adaptations en vue


Vendredi , 23 octobre 2020

Une proposition de loi (Doc. 55 1337/001) a été déposée le 10 juin 2020 visant à adapter les dispositions du livre XX du CDE (notamment relatives à la PRJ) en réaction à la crise économique engendrée par la pandémie du COVID-19[i].

Cette proposition qui comprend 12 articles introduit plusieurs modifications qui ne sont pas anodines pour les différents acteurs des procédures d’insolvabilité. 

Les voici résumées :

1.

Par l’ajout d’un article XX.11/1 du CDE, le juge commissaire et le juge délégué pourront, comme c’est déjà le cas devant la Cour d’appel[ii], établir leur rapport sous forme écrite, moyennant dépôt de ce rapport 48h avant la date prévue. 

Cette pratique n’empêchera pas le tribunal ou les parties de demander que le juge commissaire ou le juge délégué soit, lorsque cela se justifie, présent physiquement[iii].

2

En vertu de l’actuel article XX.25 du CDE, la chambre des entreprises en difficulté peut procéder à la désignation d’un juge-rapporteur pour examiner la situation des débiteurs en difficulté. 

L’actuel article XX.28 du CDE prévoit que le juge-rapporteur dispose d’un délai de 4 mois à partir de sa désignation pour rendre ce rapport. 

En pratique, selon les auteurs de la proposition de loi, le délai de 4 mois est « quasiment systématiquement » prolongé de 4 mois par la chambre des entreprises en difficulté. 

Par conséquent, afin d’adapter le délai à la réalité du terrain, il est proposé de modifier l’article XX.28 du CDE et de fixer le délai accordé au juge-rapporteur à 8 mois[iv].

Par ailleurs, la proposition tend à la suppression du délai de 8 mois imposé à la chambre des entreprise en difficulté lorsqu’elle procède elle-même à l’examen[v].

Dans son avis du 8 juillet 2020, le Conseil d’Etat considère que cette absence de délai maximal doit être justifiée et qu’il doit y avoir une proportionnalité entre l’objectif poursuivi (une sortie de crise pour le débiteur) et les droits des créanciers dont la protection doit être assurée[vi].

3

L’article XX.30 du CDE prévoit que « lorsque des manquements graves et caractérisés du débiteur ou de l’un de ses organes menacent la continuité de l’entreprise en difficulté ou de ses activités économiques et que la mesure sollicitée est de nature à préserver cette continuité, le président du tribunal, saisi par le ministère public ou tout intéressé selon les formes du référé, peut désigner un ou plusieurs mandataires de justice ».

Contrairement à l’article XX.31 du CDE relatif à la désignation d’un administrateur provisoire, les manquements énoncés à l’article XX.30 n’impliquent pas qu’il soit nécessaire d’établir une faute dans le chef du débiteur. Il suffit d’« actes ou omissions qui sans être en soi fautifs, sont d’une gravité telle qu’ils sont de nature à mettre en péril la continuité de l’entreprise »[vii].  

Prenant en compte les difficultés économiques provoquées par les mesures sanitaires, la proposition de loi élargit le champ des possibilités de désignation d’un mandataire de justice en modifiant le libellé de l’article XX.30 comme suit : 

 « Lorsque des circonstances exceptionnelles ou des évènements exceptionnels mettent ou sont susceptibles de mettre en péril tout ou partie du bon fonctionnement des activités économiques ou lorsque des manquements caractérisés du débiteur ou de l’un de ses organes menacent la continuité de l’entreprise en difficulté ou de ses activités économiques et que la mesure sollicitée est de nature à préserver cette continuité, le président du tribunal, saisi par le débiteur, le ministère public ou tout intéressé selon les formes du référé, peut désigner un ou plusieurs mandataires de justice »[viii].

La démonstration de « lacunes évidentes dans la gestion » ou encore d’« erreurs grossières » ne sera donc plus nécessaire selon la proposition de loi qui offre également la possibilité de solliciter la désignation d’un mandataire de justice au débiteur[ix].

4

Il est envisagé d’ajouter aux mesures provisoires actuelles[x]le bénéfice pour le débiteur de facilités provisoires,« sous le contrôle du tribunal et si nécessaire, avec l’aide d’un médiateur d’entreprise »[xi].

Il s’agit donc d’octroyer au débiteur une suspension de ses obligations de paiement tout en le mettant à l’abri de l’application de sanctions. 

Le créancier ne se verra toutefois pas privé de la faculté d’user de la compensation, de l’exception d’inexécution ou encore du droit de rétention. De plus, le créancier peut s’opposer à ces mesures et ce pendant toute la durée de leur application. Ce sera alors au tribunal d’évaluer les intérêts de chacun.  

Toutefois, pendant la durée du délai de grâce, la résolution du contrat ne pourra pas être poursuivie par le créancier. Les clauses pénales sont, quant à elles, réputées non écrites. 

A cet égard, interrogé par la commission de l’économie de la Chambre, AVOCATS.BE considère que « le créancier doit pouvoir poursuivre la résolution du contrat pour d’autres causes que celle du non-paiement »[xii].

La demande devra être introduite par requête contradictoire, déposée dans le registre et un plan de remboursement devra y être annexé. 

L’ordonnance rendue est susceptible d’appel mais pas d’opposition.

Il est en outre prévu que les dirigeants ne pourront pas voir leur responsabilité engagée parce qu’ils ont continué les activités pendant la période qui se situe entre le dépôt de cette requête et la fin de ce régime de facilité. 

 5. 

Par une modification de l’article XX.41 du CDE, la proposition de loi assouplit les exigences formelles propres à la PRJ. L’objectif est que la PRJ soit une procédure plus flexible et dès lors plus accessible aux PME. 

Ainsi la sanction de l’irrecevabilité de la requête en cas de défaut de dépôt d’une pièce est supprimée. 

Le débiteur devra néanmoins justifier « de façon circonstanciée » la raison pour laquelle il n’a pu fournir les éléments demandés. Cet empêchement ne peut être que temporaire[xiii].

En ce qui concerne les documents repris à l’article XX.41, §2, 5° à 9°[xiv], le débiteur devra procéder à leur dépôt 48h avant l’audience par laquelle le tribunal statuera sur la requête. S’il demeure dans l’impossibilité de fournir ces documents dans le délai indiqué, une note explicative devra être déposée dans le registre. 

Comme le souligne le Conseil d’État, la formulation stricte de l’actuel article XX.41 s’explique par la volonté d’éviter le recours abusif à la protection du sursis de paiement[xv]. Le Conseil d’État estime donc qu’il faudra être attentif à la proportionnalité des mesure proposées eu égard aux risques d’abus précédemment épinglés [xvi].

De plus, l’article XX.46,§1 du CDE prévoit déjà que si une omission ou une irrégularité est réparable, le tribunal peut mettre l’affaire en continuation. La proposition semble dès lors n’avoir que très peu de plus-value nouvelle[xvii].

6

Une modification des conditions énoncées à l’article XX.45 du CDE est aussi proposée. 

Actuellement, l’article XX.45, §5 expose que : 

«  Si la demande émane d’un débiteur qui a déjà sollicité et obtenu l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire moins de trois ans plus tôt,la procédure de réorganisation judiciaire ne peut être ouverte qu’au cas où elle tend au transfert, sous autorité de justice, de tout ou partie de ses actifs ou de ses activités.

Une requête en réorganisation est dépourvue de l’effet suspensif visé à l’article XX.44, si elle émane d’un débiteur qui a sollicité l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire moins de six mois plus tôt, sauf si le tribunal en juge autrement par une décision motivée.


   Si la demande émane d’un débiteur qui a déjà sollicité et obtenu l’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire plus de trois mais moins de cinq ans plus tôt, la nouvelle procédure de réorganisation judiciaire ne peut remettre en cause les acquis des créanciers obtenus lors de la procédure antérieure ».

La proposition prévoit que le premier alinéa sera abrogé dans son entièreté[xviii].

Quant à l’alinéa 3, toutes les demandes sollicitées et obtenues moins de 5 ans plus tôt sont concernées, les demandes qui datent de moins de trois ans sont donc désormais incluses[xix].

7.

Une procédure électronique sera mise en place notamment pour le vote du plan[xx].

Selon AVOCAT.BE, cette modification doit être réfléchie car cela risque d’avoir « une influence directe sur le nombre de participants et donc sur les calculs de majorité… »[xxi].

Un meilleur accès à Regsol pour les travailleurs et leurs représentants est aussi envisagé.

8.

La proposition prévoit également, dans le cadre de l’accord amiable, d’ajouter un paragraphe 3/1 à l’article XX.65 du CDE autorisant le débiteur à demander au tribunal qu’un ou plusieurs créanciers, non parties à l’accord, lui octroient des délais modérés tels que prévus par l’article 1244 du Code civil (délai de grâce). Les créanciers concernés ont alors 8 jours à partir de la notification pour déposer dans le dossier un mémoire exprimant leur accord ou désaccord quant aux délais sollicités[xxii].

AVOCAT.BE considère qu’il n’est pas justifié que les créanciers se voient imposer un délai de réaction aussi court[xxiii].

La proposition n’inclut en outre aucun recours contre la décision d’octroi de ces délais par le tribunal, contrairement à la procédure similaire de facilités de paiement provisoire qui fera l’objet du futur article XX.35/1,§5 (voir point 4)[xxiv].

9.

La proposition prévoyait initialement de compléter l’article XX.102 en matière de faillite par une suspension de l’obligation de faire aveu de faillite en cas de cas circonstances exceptionnelles susceptibles de mettre en péril le bon fonctionnement de l’économie (art. XVIII.1 du CDE)[xxv].

Finalement, par un amendement du 16 septembre 2020, l’article 12 de la proposition, prévoyant cette modification, a été supprimé. Les auteurs ont considéré que « la suspension de l’obligation de déclaration de faillite ne peut être autorisée en aucun cas »[xxvi].

10

En guise de conclusion actuelle, une mise en garde.

Si une adaptation de la législation est nécessaire au vu de la crise, elle doit aussi veiller à l’équilibre des intérêts du débiteurs et de ses créanciers.

La proposition de loi y veille-t’elle suffisamment ? La question est ouverte…

*

Alain A. Henderickx

Mégane Peeters


[i]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001.

[ii]Art. XX.47. du CDE.

[iii]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p. 3.

[iv]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 3 et 7.

[v]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p.7. 

[vi]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, avis du Conseil d’État, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/002, p. 5 ;Article XX.25, §1 du CDE ;

[vii]C. ALTER(coord), Le nouveau droit de l’insolvabilité, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 45 ;

[viii]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 7 à 8 ;

[ix]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p. 4 ; 

[x]Désignation d’un mandataire de justice ou d’un administrateur provisoire et dessaisissement en tout ou en partie de la gestion de tout ou partie des actifs ou de ses activités ;

[xi]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 4 ; 8 à 9 ;

[xii]P. CORNIL,  « Avis d’AVOCATS.BE concernant la proposition de loi modifiant le livre XX du Code droit économique DC55-1337 »,  disponible sur www.avocat.be, 20 juillet 2020, p. 1 ;

[xiii]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 5 ; 10 à 11 ;

[xiv]la situation comptable, le budget pour la durée minimale du sursis demandé, une liste complète des créanciers sursitaires, un exposé des mesures et propositions envisagées pour rétablir la rentabilité et la solvabilité, un exposé de la manière dont le débiteur satisfait aux obligations légales et conventionnelles d’information et de consultation des travailleurs et de leurs représentants, … 

[xv]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, avis du Conseil d’État, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/002, pp. 10 à 11 ;

[xvi]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, avis du Conseil d’État, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/002, p. 12 ;

[xvii]P. CORNIL,  « Avis d’AVOCATS.BE concernant la proposition de loi modifiant le livre XX du Code droit économique DC55-1337 »,  disponible sur www.avocat.be, 20 juillet 2020, p. 3 ;

[xviii]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 5 et 11. ;

[xix]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, pp. 5 et 11 ;

[xx]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p. 5.

[xxi]P. CORNIL,  « Avis d’AVOCATS.BE concernant la proposition de loi modifiant le livre XX du Code droit économique DC55-1337 »,  disponible sur www.avocat.be, 20 juillet 2020, p. 4 ;

[xxii]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p. 11 ;

[xxiii]P. CORNIL,  « Avis d’AVOCATS.BE concernant la proposition de loi modifiant le livre XX du Code droit économique DC55-1337 »,  disponible sur www.avocat.be, 20 juillet 2020, pp. 3 à 4 ;

[xxiv]Id.;

[xxv]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/001, p. 12.

[xxvi]Proposition de loi modifiant le livre XX du Code de droit économique, Doc. Ch., 2019-2020, n°1317/003 , p. 2.



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