FORCE MAJEURE ET MESURES DE CONFINEMENT (Covid-19)

Vendredi, 24 avril 2020

A. La Notion de Force Majeure

  1. Définition 

La doctrine définit la force majeure comme étant : 

« Un évènement à caractère insurmontable, et selon certains imprévisible, indépendant de toute faute du débiteur, qui empêche ce dernier d’exécuter ses obligations ou de se conformer aux normes exclusives de faute, tout en restant dans les limites de la diligence que l’on peut attendre » [I]

Il y a impossibilité d’exécution lorsqu’est franchie la limite des efforts raisonnablement attendus du débiteur pour l’exécution de son obligation.

L’impossibilité d’exécution peut être matérielle, juridique ou morale.

Lorsque l’impossibilité résulte d’une décision prise par les autorités, on parle d’un « fait du prince ».

L’impossibilité d’exécution ne peut résulter d’une faute du débiteur de l’obligation.

Elle ne peut résulter que d’un évènement indépendant de la volonté humaine et que cette volonté n’a pu ni prévoir ni conjurer.

L’évènement doit être survenu postérieurement à la conclusion du contrat.

La force majeure n’affecte que les obligations de livraison de biens et de prestation de service.

Il y a, en principe, une exclusion du caractère insurmontable lorsqu’il s’agit de livrer une chose de genre (par exemple lorsque l’obligation ne consiste que dans le paiement d’une somme d’argent [II]) – voir les développements au point 3 ci-dessous.

2. Effets de la Force majeure

Lorsque la force majeure est établie, le débiteur est libéré de son obligation (prestation de service et / ou livraison de biens), affectée par cette impossibilité d’exécution.

« La force majeure, qui empêche une partie de remplir ses obligations, suspend l’exécution de tous les engagements nés d’un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n’est que temporaire et que le contrat peut être utilement exécuté après le délai convenu »[III].

Lorsque l’impossibilité d’exécution n’est que temporaire, l’exécution de l’obligation est seulement suspendue.

Dans le cadre d’un contrat synallagmatique, le bénéficiaire de l’obligation suspendue pourra invoquer l’exception d’inexécution pour suspendre, lui aussi, l’exécution de ses obligations.

Le débiteur de l’obligation suspendue devra s’exécuter, une fois l’empêchement disparu, pour autant que l’exécution soit encore utile à ce moment.

Lorsque l’impossibilité d’exécution est définitive ou que le contrat ne peut plus être utilement exécuté après le délai convenu [IV] il y a dissolution du contrat et extinction des obligations prévues par ce contrat.

« Traditionnellement, l’on considère que la dissolution du contrat opère ex nunc, donc seulement pour l’avenir, contrairement à la résolution pour inexécution fautive qui opère ex tunc. Cette tradition est cependant contestée, une partie de la doctrine considérant qu’il n’y a pas de raison de soumettre à deux régimes différents la dissolution par application de la théorie des risques et la résolution pour inexécution fautive » [V].

Dans les contrats successifs, l’effet ex nunc semble pouvoir être retenu.

A l’inverse, l’effet ex tunc, serait de mise pour les contrats instantanés.

3. Cas particulier : l’obligation consiste dans le paiement d’une somme

En raison de l’adage Genera non pereunt, il y a exclusion du caractère insurmontable lorsqu’il s’agit de livrer une chose de genre [VI].

On ne peut donc, en principe, pas se prévaloir de la force majeure pour suspendre une obligation de paiement.

Certains auteurs font cependant valoir que « la jurisprudence a évolué vers une plus grande souplesse, au point qu’on estime aujourd’hui que la règle traditionnelle genera non pereunt doit être écartée chaque fois que le débiteur de choses de genre se trouve en présence d’une véritable impossibilité d’exécution découlant d’une cause étrangère »[VII].

Cette position pourrait néanmoins être contestée par les enseignements de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018 :

« Même si elle résulte de circonstances extérieures constituant pour lui une force majeure, l’insolvabilité́ n’a pas pour effet de libérer le débiteur de son obligation de paiement.

Le juge d’appel, qui a considéré que l’invocation de la force majeure ne peut être exclue en ce qui concerne « les choses fongibles et, en particulier, les dettes de sommes », (…) n’a pas légalement justifié sa décision »[VIII]

B. Application aux mesures de confinement 

  1. Conditions 

Les mesures prises par les autorités dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, telles que des arrêts d’activités non essentielles, peuvent constituer un cas de force majeure pour les entreprises concernées (en l’occurrence, un « fait du prince »). 

Il faudra alors s’en référer à l’arrêté ministériel le plus proche de la date d’exécution du contrat.

Certaines entreprises n’étaient pas visées par les premières mesures mais bien par des mesures ultérieures.

En outre, il faudra être attentif à la nature de l’obligation. S’il s’agit d’une obligation de paiement, il y a lieu de craindre que la condition de l’impossibilité d’exécution ne soit pas remplie.

Concernant l’imprévisibilité de l’événement, il sera nécessaire d’analyser au cas par cas si, au moment de la conclusion du contrat, le débiteur de l’obligation n’était pas en mesure « de pouvoir anticiper » les mesures prises [IX]. Si le contrat a été conclu le jour de l’annonce d’une probable extension de la durée des mesures, la condition de l’imprévisibilité pourrait être écartée.

2. Effets 

L’impossibilité d’exécution imposée ne sera a priori que temporaire. 

Les obligations de livrer un bien ou de prester un service sous les réserves évoquées pour les obligations de payer – seront donc suspendues jusqu’à la fin des mesures de confinement.

Le bénéficaire de l’obligation suspendue peut alors soulever l’exception d’inexécution pour suspendre ses propres obligations ( en l’occurrence son obligation de paiement).  

Pour certains contrats où la date d’exécution est un élément essentiel, l’exécution pourra s’avérer inutile à la fin des mesures et il y aura alors dissolution du contrat, avec les conséquences qui en découlent.  

Il est à noter que dans certains secteurs, des arrêtés ministériels ont été adoptés afin de permettre à l’organisateur, sous certaines conditions, de délivrer des bons à valoir à la place d’un remboursement de la somme versée par le cocontractant.

On peut notamment mentionner l’Arrêté ministériel du 19 mars 2020 relatif  aux activités à caractère privé ou public, de nature culturelle, sociale, festive, folklorique, sportive et récréative ou encore l’Arrêté ministériel du 19 mars 2020 relatif au remboursement des voyages à forfait annulés.

[I] P., VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II : Les obligations, vol. 2 : Sources des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 1424 – F., Glansdorff « La force majeure », J.T., 2019/18, n° 6772, p. 355 ;

[II] Cass., 13 mars 1947, Pas., 1947, I, p. 108 ;

[III] Cass. 13 janvier 1956, Pas.,1956, I, p. 460 ;

[IV] P., WERY, « La théorie générale du contrat », Rép. not., Tome IV, Les obligations, Livre 1/1, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 949 ;

[V] F., GLANSDORFF, « La force majeure », J.T., 2019/18, n° 6772, p. 358 ;

[VI] Cass 13 mars 1947, Pas.,1947,I, p.108 ;

[VII] F., GLANSDORFF, « La force majeure », J.T., 2019/18, n° 6772, p. 355-358 ;

[VIII] Cass., 28 juin 2018, R.G.n° C.17.0701.N, disponible sur www.juridat.be, p. 2 : 

[IX] J.-R. DIRIX, « Le bail commercial et le coronavirus: va-t-on vers des coronaccords ? » disponible sur http://www.droitbelge.be/news_detail.asp?id=1014.

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